Lutte contre le court noué : focus sur quelques pistes de recherche
Des nanobodies pour lutter contre le court-noué
Découverts dans les années 90, les nanobodies sont une classe d’anticorps spécifique aux Camélidés. A la différence des anticorps classiques, ces anticorps « nanobodies » ne possèdent qu’une seule chaine lourde et donc un seul site de reconnaissance de l’antigène. Ils sont de très petite taille (10 fois plus petits qu’un anticorps classique) ce qui leur permet de se fixer sur de petites cavités.
Lors de sa thèse, Caroline Hemmer est parvenue à isoler des nanobodies reconnaissant spécifiquement le virus du GFLV (principal virus responsable du court-noué). L’identification de sites de reconnaissances spécifiques de ces nanobodies à la surface du virus a permis d’imaginer de nouvelles méthodes de lutte. Si ces sites de reconnaissance sont occupés par des nanobodies, alors le nématode ne pourra plus fixer le virus et ne pourra donc plus le transmettre. Il a déjà été démontré que des lignées Nicotiana benthamiana (espèce proche du tabac) exprimant des nanobodies étaient immunes vis-à-vis du GFLV. Chez la vigne , de récents travaux ont montré que la modification du porte-greffe avec une séquence d’ADN codant pour le nanobody spécifique du GFLV conduisait à un blocage très précoce et efficace de la multiplication du virus. Même si ces résultats obtenus en laboratoire sont encore préliminaires, ils laissent entrevoir des perspectives de solution au vignoble.
La prémunition, un mécanisme de défense naturel contre le court-noué
L’approche consiste à exploiter un mécanisme naturel de résistance chez les plantes et qui pourrait constituer une solution intéressante en termes de lutte « biologique ». Cette technique consiste en l’utilisation d’un variant de virus hypovirulent (peu virulent), inoculé préalablement à la vigne. Cela s’apparente au vaccin chez l’Homme. De nombreuses études portant sur la prémunition avaient été lancées dans les années 80 mais n’ont pas donné des résultats très concluants. En revanche, en utilisant une souche « locale » de virus pour inoculer la vigne, les résultats sont plus encourageants. C’est tout l’enjeu du projet VacciVine, lauréat de l’AAP 2017 du Plan National Dépérissement du Vignoble.
La réponse antivirale impliquée dans le mécanisme de prémunition est appelée « gene silencing ». Cette compétition entre les souches virales "vaccinantes" et pathogènes peut aboutir, si elle est suffisamment efficace, à la co-suppression des virus en présence. Ce mécanisme très spécifique est basé sur l’ARN interférence -ARNi- ou extinction des gènes, avec expression de petits ARNs issus de la dégradation des ARN viraux. Cette réponse "immunitaire" de la plante peut également se généraliser au-delà du site d’infection, à l’ensemble de la plante.
Des approches combinées pour une solution durable contre le court-noué
Un autre projet (financé par l'Agence Nationale pour la Recherche - ANR) est actuellement en cours pour combiner deux stratégies (ARNi et nanobodies) afin de minimiser le risque de contournement de la résistance par des variants de GFLV. Les objectifs de ce projet (ANR Combining), à l’interface de la recherche fondamentale et de l’innovation, sont :
- d’étudier le mécanisme de résistance, en particulier pour l’approche PPi, très innovante, et la durabilité de ces 2 résistances dérivées du pathogène chez N. benthamiana,
- de combiner les deux approches ARNi et PPi dans une même plante de N. benthamiana,
- d’introduire ces 2 types de construction dans des porte-greffes de vigne et de valider l’efficience de ces 2 résistances, pour ensuite les combiner par greffage.
L’association de ces 2 stratégies complémentaires permettra de lever un verrou scientifique et technologique, par la création de porte-greffes résistants aux virus du court-noué. Ces résistances au virus conférées par combinaison de 2 transgènes et « médiées » par le seul porte-greffe, qui pourraient de plus être associées à une résistance naturelle au nématode vecteur, seraient en mesure de renforcer la durabilité de résistance par rapport à une seule stratégie.
Ainsi, l’objectif des futures stratégies de lutte contre le court-noué basées sur le porte-greffe est d’aller vers une approche systémique pour proposer des solutions composites, portant à la fois sur la résistance par transgénèse et/ou prémunition procédant de l’ARN interférence ou bien de la « nanobody interference » et sur l’exploitation de la résistance partielle au vecteur. A cette stratégie de résistance « médiée » par le porte-greffe, pourrait se superposer une résistance « naturelle », si des allèles intéressants sont identifiés ou se confirment chez Vitis vinifera.
Réflexion autour des biotechnologies
En parallèle, une étude conduite par l’INRA de Colmar et le CNRS de Lyon (ECL) évalue l’impact de ces biotechnologies sur l’environnement. Au cours de cette étude, aucun transfert de gène n’a été observé. De plus, l’expression du transgène est restée limitée au porte-greffe, aucune signature transgénique n’ayant été détectée dans le greffon.
Cette étude contribue à alimenter les réflexions en cours autour de l’utilisation de plantes génétiquement modifiées. La science est en train de démontrer que des solutions durables et respectueuses de l’environnement, issues des biotechnologies, sont possibles pour lutter contre le court-noué. La société devra, elle, se prononcer sur leur acceptabilité.
La recherche contre le court-noué n’a jamais été aussi près d’aboutir sur des propositions concrètes, privilégiant des solutions de « biocontrôle ».