La taille, un moyen de freiner le développement de l'Esca?
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Des essais menés à Bordeaux par l'ISVV montrent que la taille de la vigne "au-delà du diaphragme" contribue à limiter l'installation des cônes de dessication et par conséquent à freiner le développement des maladies du bois.
Taille et formation des cônes de dessication
Tailler la vigne est une pratique nécessaire mais qui stresse le végétal et peut offrir une "porte d'entrée" aux maladies du bois, esca en tête. La taille crée des plaies de taille qui cicatrisent en produisant une zone de bois mort dite "cône de dessication". Cette zone, en s'étendant à l'intérieur du bois, peut avoir un impact sur les trajets de sève parcourant le cep. Or, si ces trajets sont perturbés, l'équilibre physiologique du cep est également affecté et sa survie menacée. La plante peut en effet subir un épuisement prématuré limitant sa vigueur et sa productivité en raison de trajets de sève trop perturbés par des zones de nécrose.
Les pratiques viticoles préconisent une taille propre, bien rase. Celle-ci génère des plaies importantes et mutilantes qui peuvent participer au dépérissement du pied.
Formation des cônes de dessication et modification de la structure anatomique
La production d'un cône de dessication est une réponse physiologique de la plante en réponse à une plaie de taille. La profondeur et la forme du cône varient en fonction de la sévérité de la plaie, de sa position, de sa proximité avec une autre branche et même du cépage. Le postulat estimant que la profondeur du cône est équivalente au diamètre de la plaie de taille n'est pas toujours vérifié.
Après une blessure, les arbres génèrent de nouveaux tissus afin de cicatriser et/ou cloisonner une infection possible. Les phénomènes de cicatrisation des ligneux ont été décrits dans le cadre du modèle de fonctionnement "Codit" (compartimentalization of decay in trees) c'est-à-dire sur des mécanismes de compartimentalisation progressive des tissus. Deux types de mécanismes semblent être induits par les blessures de taille :
- l'activation de barrières physiques obstruant les vaisseaux conducteurs de sève;
- l'activation de barrière chimiques limitant le développement de micro-organismes.
Contrairement aux arbres développant un cal de cicatrisation, la vigne ne peut recouvrir la plaie et produit une substance gommeuse durant l'hiver et forme en été des thylles obstruant les vaisseaux conducteurs. Ces deux mécanismes conduisent alors à la formation du "cône de dessication".
La relative lenteur de la fermeture des vaisseaux augmente la durée d'exposition aux pathogènes. Elle entraine également une modification des flux de sève dans la zone de bois contenant des vaisseaux.
Étude des modalités de formation des cônes de dessication : essai mené en bordelais
L'ISVV et la société Simonit &Sirch ont lancé une étude visant à expliquer le processus d'installation des cônes de dessication et à caractériser leur forme selon les modalités de taille. L'essai a été mené durant les hivers 2014 et 2015 sur deux parcelles en AOC Bordeaux : une de Cabernet Sauvignon et une de Sauvignon blanc. Chaque parcelle a accueilli trois modalités de taille sur cinquante bois de 2 ans :
- modalité 1 : taille rase
- modalité 2 : taille non rase avec chicot taillé sous le premier nœud
- modalité 3 : taille non rase avec chicot taillé au-dessus du premier nœud et ébourgeonné, modalité dite "avec diaphragme". Le diaphragme est un tissu sclérifié situé dans la zone de chaque nœud et qui a pour rôle physiologique de participer à la régulation du transit des flux de sève.
Trois mois et six mois après la taille, des prélèvements de bois sont réalisés afin d'évaluer la surface et la profondeur d'installation des nécroses par analyse d'image.
Une installation lente et hétérogène des cônes de dessication
Trois mois après la taille, le processus de cicatrisation est entamé mais peu évolué, la zone lignifiée est desséchée ce qui correspond à la première phase de cicatrisation. Cette zone lignifiée s'étend sur l'ensemble des tissus du rameau de manière homogène, avec une épaisseur moyenne inférieure à 3 mm.
Six mois après la taille, la forme et la profondeur de la zone nécrosée varient selon les modalités et même au sein de la modalité 2 sans diaphragme en fonction de l'état des souches. Sur la modalité 2, deux types de situation ont été observés indifféremment de l'année d'étude et du cépage.
Sur cette modalité sans diaphragme, le dessèchement des tissus semble lié à la vigueur de la souche et au diamètre des bois taillés. Dans le cas de souches peu vigoureuses, tout l'intervalle entre deux nœuds est nécrosé jusqu'à la zone d'insertion du chicot sur le bois de l'année précédente. A contrario, si le bois est d'un bon diamètre seule la moelle se dessèche.
Quant aux résultats sur la modalité 3 avec diaphragme, la nécrose ne s'est quasiment pas étendue au niveau de la zone vasculaire laissant une partie des zones de circulation de sève fonctionnelle. La moelle est desséchée jusqu'au diaphragme qui sert alors de barrière à la poursuite de l'installation nécrotique.
Effets comparés d'une plaie de taille rase (à gauche) et d'une plaie avec chicot (à droite) - Aspect au bout d'un an
Un effet cépage
Trois et six mois après la taille, on observe des différences d'installation de nécrose en fonction des cépages, le Sauvignon semblant réagir davantage quelle que soit la modalité. La nécrose est toujours plus marquée sur le Sauvignon que sur le Cabernet-Sauvignon, même si les différences d'épaisseur ne sont pas significativement différentes.
Éloge des chicots
Suivant la sévérité des plaies de taille, la zone de la plaie et le cépage, l'apparition de bois mort est plus ou moins rapide et profonde, ce qui a un impact différent sur les flux de sève. Il est donc nécessaire de chercher à limiter la profondeur du cône de dessèchement dans le courant de sève si l'on veut optimiser les réserves et préserver la viabilité de sa vigne. Le diaphragme semble jouer un rôle prédominant pour limiter et réguler les zones nécrotiques. Il permet de conserver une zone de bois vivant au-dessus de la zone d'insertion du bois de l'année et d'assurer ainsi son alimentation.
Même si l'impact des modes de taille sur la réponse physiologique de la vigne mérite d'être encore documenté, il semble que la conservation du diaphragme et la limitation des tailles rases permette d'instaurer une taille plus respectueuse de la plante, levier important pour limiter les phénomènes de dépérissement des souches et l'expression des maladies du bois.
Crédits Photos : Simonit &Sirch, maîtres tailleurs de vigne et C. Cholet ISVV
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- Retour d'expérienceAjouté le 24/02/2017