5 questions à Sophie Trouvelot sur le projet Holoviti
Le programme de recherche Holoviti, lauréat de l'appel à projet 2018 du Plan vise à identifier des bio-indicateurs du dépérissement le long du continuum sol-racines-parties aériennes de la vigne. Sophie Trouvelot de l'Université de Bourgogne a accepté de répondre à nos questions pour présenter ce projet de recherche.
Qu'entendez-vous par holobionte de la vigne?
Le concept d’organisme montre actuellement ses limites. En effet, un organisme pluricellulaire animal ou végétal ne vit pas seul dans un environnement stérile mais en interaction avec des micro-orgnanismes dont il faut tenir compte pour expliquer son fonctionnement. Ainsi, l’holobionte désigne un ensemble composé d’un organisme hôte et les communautés microbiennes vivant à sa surface ou en son sein. Leurs interactions de courte et/ou de longue durée façonnent à la fois les propriétés de l'hôte et des micro-organismes. Le fonctionnement de l’holobionte vigne va dépendre de cette interaction permanente entre la vigne et les communautés microbiennes.
Sur quelle hypothèse de travail est basée le projet Holoviti?
Dans ce projet, porté par Pierre-Emmanuel Courty et moi-même, l'hypothèse de départ est qu'un dysfonctionnement de l'holobionte "vigne" lié par exemple à des pratiques culturales inadaptées ou aux changements climatiques, pourrait conduire à l'installation de maladies ou de désordres physiologiques, sources de dépérissement. Cette hypothèse est par ailleurs explorée chez l'homme notamment dans le cas de certains diabètes ou de maladies intestinales.
Quel est l'objectif majeur de ce programme de recherche prometteur?
L'objectif majeur d'Holoviti est de trouver des bio-indicateurs de l'état sanitaire de la vigne avant même l'apparition des symptômes dans le cas de vignes en voie de dépérissement. Plus précisément nous proposons de comparer les holobiontes de vigne d'apparence saine et dépérissante (en raison de maladies fongiques (maladies du bois), virale (court-noué) et d'un dysfonctionnement physiologique lié à l’utilisation du porte-greffe 161-49C). L’originalité de ce projet réside dans le fait que ces bio-indicateurs seront recherchés dans les différents compartiments de l'hôte allant du sol aux feuilles en passant par les racines, le tronc et les rameaux.
Schéma concept du projet Holoviti ©RdO
Concrètement, comment allez-vous travailler?
Pour caractériser l’activité des microbiomes de la vigne nous adopterons une approche transversale, pluridisciplinaire, en faisant appel à des méthodologies nous permettant de cibler des fonctions microbiennes clés. Cela pourra être :
- des gènes microbiens impliqués dans les processus de transport de nutriments,
- des enzymes liées à des activités cruciales du cycle de l’azote ou du carbone voire à la détoxication de certains composés,
- ou encore des métabolites microbiens.
Photographies des dépérissements d'ordre fongique ou viral et du dépérissement lié au porte-greffe 161-49C, étudiés dans le cadre du projet Holoviti ©RdO
Quelles sont les formes de dépérissement étudiées dans Holoviti et pourquoi?
Afin de déterminer des bio-indicateurs communs à plusieurs dépérissements et qui permettraient ainsi de caractériser un état global de dépérissement, nous avons choisi de travailler sur 3 dépérissements distincts, présents au sein d’un même parcellaire :
- Les maladies du bois de la vigne (notamment liés aux Botryosphaeria et à l'Esca), sont devenues en l’espace de vingt ans l’objet de préoccupations majeures pour la filière vitivinicole française (13% du vignoble français actuellement touché) et mondiale. Dans le vignoble, le taux de progression moyen de ces seules maladies du bois, mesuré en termes de ceps improductifs, est de l’ordre de 0,5 à 1% par an, avec toutefois de fortes fluctuations selon les cépages et les aires de production. Ces maladies complexes, qui touchent toutes les parties ligneuses de la vigne, sont provoquées par un cortège de champignons qui colonisent simultanément ou séquentiellement les tissus ligneux des ceps et qui le dégrade progressivement, entraînant leur mort à plus ou moins long terme. Des symptômes foliaires apparaissent ; ils sont soit une conséquence directe de la production de molécules phytotoxiques émises par les champignons phytopathogènes localisés dans le bois soit une conséquence indirecte due à une perturbation de l’alimentation hydrique des parties aériennes à cause d’agents pathogènes localisés dans le xylème des parties pérennes (vieux bois du greffon).
- Le court noué entraîne une dégénérescence progressive de la vigne qui conduit à la mort des ceps. Le court noué correspond à un dépérissement infectieux dus à 16 népovirus dont les deux principaux sont le Grapevine FanLeaf Virus et l’Arabis mosaic virus, transmis spécifiquement de plante à plante par le nématode ectoparasite du sol, Xiphinema index. Le court noué se caractérise notamment par un affaiblissement progressif de la souche qui peut conduire à sa mort. Au printemps, la végétation est languissante, il est fréquent d’observer sur rameaux un aplatissement (fasciation) ou un raccourcissement des entre-nœuds (mérithalles), une croissance en "zigzag", une division du rameau en "balais de sorcière". Les répercussions sur feuilles se traduisent par des troubles de la nervation, par des déformations et des panachures réticulées ou diffuses du feuillage.
- Le 161-49C est un porte-greffe actuellement très largement utilisé en France (de 2 à 4% des greffes-boutures produites annuellement). Ce porte-greffe, fortement utilisé dans la reconstruction du vignoble suite à la gelée de 1956 est encore fortement présent. Cependant, depuis une quinzaine d’années des problèmes de dépérissements assez graves et inexpliqués ont été signalés sur des parcelles établies en Dordogne, Pays de Loire, Bourgogne, Champagne-Ardenne et particulièrement en Languedoc-Roussillon. Il apparaît que le porte-greffe est plus impacté que le greffon. Le niveau des réserves carbonées insolubles (amidon) est variable d’un plant à l’autre mais apparaît faible à très faible et un différentiel de stockage se crée entre le greffon et le porte-greffe alors que ce dernier est un compartiment privilégié pour le stockage des réserves. De plus, au niveau du porte-greffe des anomalies de structure et physiologiques sont constatées. Elles conduisent notamment à des variations d’épaisseur du liber (phloème secondaire) avec, localement, un arrêt de la production vasculaire phloémienne, mais également un niveau de thyllose élevé au niveau du xylème. A la parcelle, les ceps atteints présentent une diminution de vigueur avec notamment une forte réduction de la hauteur de végétation et du diamètre des rameaux.
Crédits photos : IFV, Inra Dijon, Château de Marsannay, Université de Bourgogne, RdO